Source : http://levif.rnews.be/fr/news/actualite/belgique/philippe-moureaux-on-a-fait-le-jeu-de-la-n-va/article-1194810404496.htm?utm_source=Newsletter-03-09-2010&utm_medium=Email&utm_campaign=Newsletter-Site-LeVif-FR-fr
vendredi 03 septembre 2010 à 09h29
Philippe Moureaux " On a fait le jeu de la N-VA " Pour
Philippe Moureaux, le pays entre peut-être dans une nouvelle phase,
périlleuse, « l'organisation progressive de la séparation ». Le sénateur
fustige les erreurs stratégiques des francophones. Il avertit : on
n'échappera pas à l'austérité. Interview© Belga
Le doyen de la politique belge ? Herman Van Rompuy a quitté l'imbroglio
belgo-belge pour un business plus florissant, présider l'Europe.
Jean-Luc Dehaene, après s'être pris les pieds dans le tapis BHV, a lui
aussi déserté la scène nationale, non sans jurer qu'on ne l'y
reprendrait plus. Quant à Herman De Croo, il laisse désormais à son
fiston les flashs et les projecteurs. Reste Philippe Moureaux...
Toujours sénateur, vice-président du PS, président de la fédération
bruxelloise et bourgmestre de Molenbeek, à 71 ans. Tout l'été, il a
participé en première ligne aux négociations destinées à former un
nouveau gouvernement et à tracer les contours de la prochaine réforme de
l'Etat. Ce qu'il y a vu et entendu le laisse, disons, sceptique.
Entretien.
Le Vif/L'Express : On a l'impression que certains semblent tout à
coup s'apercevoir que la N-VA est un parti indépendantiste, qui rêve de
liquider l'Etat fédéral... Philippe Moureaux : Nous sommes quand même quelques-uns
qui ne l'avions pas oublié. Nous sommes devant une interrogation
fondamentale : Bart De Wever veut-il un compromis, certes le plus
favorable pour lui ? Ou veut-il précipiter les choses pour montrer que
la Belgique est ingouvernable ? C'est une interrogation qu'on a depuis
le début des négociations. En fait, je ne suis pas sûr que Bart De Wever
a lui-même la réponse à cette question.
Dans les deux hypothèses, son but ultime reste la mort de la Belgique. Oui, mais vous pouvez être dans un schéma progressif ou dans un schéma révolutionnaire.
Lors de sa mission d'information, Bart De Wever avait tenté
d'établir des convergences entre les programmes du PS et de la N-VA.
Après avoir passé deux mois à négocier avec la N-VA, percevez-vous
l'existence de telles convergences ? Sur le plan communautaire, il y a une semi-convergence. Le PS,
historiquement, et à la différence des autres partis francophones, a
toujours été pour une forme plus ou moins importante de fédéralisme.
Evidemment, ce n'était jamais dans l'esprit de scinder la Belgique...
Et sur le plan socio-économique ? Nos programmes sont aux antipodes. Mais si on fait un gouvernement
ensemble, il faudra bien trouver, non pas des convergences, mais un
juste milieu entre les deux thèses.
Vous considérez la N-VA comme un vrai parti de droite ?
De Wever est un vrai homme de droite. D'après ce qu'on voit, les
dirigeants de la N-VA sont les porte-parole de cette classe moyenne de
nouveaux riches, un peu arrogante. Cela se sent très fort dans leurs
prises de position.
Les francophones ont fait le jeu de la N-VA ? Inconsciemment, bien sûr. En refusant de régler BHV.
Les Flamands ont dû soulever des montagnes pour amener les
francophones à la table. Vous comprenez que leur impatience vient de là ? Sur BHV, ils ont eu l'impression qu'on les tournait en bourriques. Je
comprends leur impatience. Je ne comprends pas qu'aujourd'hui ils
peuvent récolter une grande partie de ce qu'ils souhaitaient et qu'ils
disent que ce n'est rien du tout. C'est souvent comme ça. En politique,
les trains s'arrêtent rarement en gare. Ils ont tendance à dépasser la
gare.
Revendiquer l'élargissement de la Région bruxelloise, cela
n'a-t-il pas contribué à braquer les Flamands et à pourrir le climat
communautaire ?
On a tout de même le droit de dire ce qu'on considère comme l'idéal. Si
les six communes à facilités de la périphérie étaient rattachées à
Bruxelles, ce serait un soulagement pour tout le monde - et en
particulier pour les Flamands. Car ce problème, c'est tout de même un
chardon dans leur soulier. Ils inventent n'importe quoi pour essayer de
flamandiser ces communes, sans y réussir. Cette revendication est
intelligente, rationnelle. Mais voilà, j'ai bien compris que,
symboliquement, ils ne pouvaient pas accepter.
Lors du 1er mai 2000, Laurette Onkelinx avait plaidé pour le
passage aux 35 heures. Il y a quelques mois, la secrétaire générale la
FGTB, Anne Demelenne, remettait sur le tapis la question de la réduction
du temps de travail - l'un des combats historiques de la gauche.
Comment percevez-vous ce débat, au moment où l'Etat fédéral doit
économiser 25 milliards d'euros d'ici à 2015 ? Nos sociétés européennes devront un jour choisir entre une réduction
drastique du temps de travail et un système qui comprend une masse très
importante de chômeurs. Pour le moment, on flotte entre les deux. Si on
ne tranche pas à un moment, c'est la deuxième hypothèse qui va
s'imposer. Mais l'opinion publique laissera-t-elle au monde politique la
possibilité de trancher ? Pour le moment, il est très difficile de
développer des stratégies à long terme, car l'opinion publique, dans
tous les pays, s'oppose à ceux qui sont au pouvoir. Regardez Sarkozy !
Voyez ce malheureux Premier ministre grec à qui on reproche toutes les
erreurs de la droite ! Obama a réussi une petite réforme, mais il a tout
de même réussi quelque chose. Seulement voilà, il est désavoué par la
population. Les socialistes ont raté un grand tournant quand ils étaient
très majoritaires au sein de la Commission européenne, et qu'ils ont
mené une politique centro-centriste, sans jamais oser prendre aucune
mesure de gauche.
Vous ne craignez pas qu'à l'issue de la réforme de l'Etat le
pays se retrouve enferré pour une décennie dans une logique de rigueur ?
Je le crains.
Pourra-t-on échapper à l'austérité, à un douloureux Plan global, comme celui concocté par Dehaene en 1993 ? Ben, non...
On n'y échappera pas ? Non.
Les dirigeants francophones, en particulier socialistes,
multiplient pourtant les déclarations pour dire qu'on appliquera une
logique de rigueur, mais sans verser dans l'austérité. C'est du vocabulaire, ça. Une chose affreuse, c'est que nous sommes sous
la coupe de ce qu'on appelle « les marchés ». Personne ne sait qui
c'est. Moi, je suis marxiste, un peu révolutionnaire, mon âge ne m'en a
pas dissuadé. Mais j'ai beau me tortiller dans tous les sens, ces
crapules qui sont derrière les marchés, quelques personnes qui se
remplissent les poches sur notre compte, elles s'imposent. Je ne peux
pas leur échapper. Je serai obligé de mener cette politique... La
différence entre la gauche et la droite, c'est de savoir si on va faire
payer toute la facture aux travailleurs, et rien aux riches, ou si on va
partager la facture. Je vous donne là une opinion personnelle.
Elle contraste avec le discours dominant au PS. Ne vous faites pas d'illusion : on paiera tous une partie de la facture.
Ces banques, ces financiers qui nous ont foutu là où ils nous ont
foutus, ils sont venus pleurer pour que l'Etat les aide. L'Etat les a
aidés. Maintenant, ils nous imposent une politique d'austérité, de
rigueur...
Entretien :
François Brabant et
Pierre Havaux