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 Les émeutes du 6 février 1934 à Paris

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MessageSujet: Les émeutes du 6 février 1934 à Paris   Les émeutes du 6 février 1934 à Paris EmptyJeu 06 Avr 2006, 3:16 pm

Source : http://perso.wanadoo.fr/gatinais.histoire/6fevrier1934.htm

Citation :
6 Février 1934, Montargis dans la tourmente, par Roland Vouette
Cet article est extrait du Bulletin de la Société d'Emulation N°126, 2004
Il y a soixante-dix ans, la passion et les violences politiques secouaient Montargis. Plus que toute autre localité de l’hexagone, hormis Paris lieu des affrontements, la ville gâtinaise était affectée par le plus sanglant soubresaut politique qu’ait connu la France du XXe siècle. Il y a une raison à cela : le député de Montargis, Eugène Frot, est le Ministre de l’Intérieur lorsque se déclenche l’émeute parisienne du 6 février 1934. Sa carrière allait, d’ailleurs, en être définitivement brisée.
On retracera, ci-après, les principaux aspects de ces événements qui ont marqué, il y a soixante-dix ans, l’histoire du Montargis.
L’émeute parisienne [1]
Le mardi 6 février 1934 au matin, la France est sous haute tension. Le Gouvernement formé par Edouard Daladier le 30 janvier, après la démission de Camille Chautemps sur l’affaire Stavisky, se présente devant l’Assemblée et sollicite l’investiture. L’ensemble des mouvements politiques de la droite extrême – l’Action Française, les diverses ligues qui prolifèrent depuis quelques années – ont appelé leurs militants à descendre dans la rue. La Place de la Concorde, face au Palais Bourbon, est l’un des lieux de rassemblement fixés. Depuis des semaines, Paris est, certes, habitué à de telles manifestations, quasi quotidiennes, où s’affrontent les militants des ligues et la police parisienne. Mais, pour ce jour-là, la mobilisation promet d’être particulièrement forte. Les organisations d’anciens combattants – y compris l’ARAC, de sensibilité communiste - ont appelé leurs très nombreux membres à protester. Toutes les forces politiques hostiles au Gouvernement – et pour beaucoup d’entre elles au régime républicain au moins dans sa forme parlementaire – ont appelé à l’action. Leurs nombreux et influents organes de presse : Grégoire, Candide, l’Intransigeant, Je suis partout, l’Echo de Paris et, bien entendu, l’Action Française… sont déchaînés. La droite modérée, par la voix notamment d’André Tardieu, n’est pas la dernière à protester sinon à appeler à descendre dans la rue.
La raison d’une telle colère ? Le samedi 3 février, le Président du Conseil a décidé de nommer résident général au Maroc, Jean Chiappe le préfet de police, lequel a refusé cette affectation prestigieuse qu’a illustrée Lyautey. Le Préfet de la Seine a démissionné par solidarité avec son collègue. La majorité de droite du Conseil Municipal de Paris, quant à elle, a pris fait et cause pour Chiappe et encourage les projets de manifestations. Au point qu’on a pu soutenir qu’il y avait eu à l’Hôtel de Ville, préparation d’un gouvernement provisoire pour le cas où les choses auraient mal tourné.[2]
C’est que Jean Chiappe est très populaire dans toute une partie de l’opinion parisienne. Mais il est aussi très détesté de la gauche qui lui reproche de réprimer brutalement toutes ses tentatives de présence dans la rue, tenue par les ligues. Et la décision d’Edouard Daladier est inattendue : le Préfet de police avait été reçu l’avant-veille par le Président du Conseil et le Ministre de l’Intérieur qui l’avaient assuré de leur confiance. Eugène Frot ne semble pas avoir été consulté pour cette décision d’affectation qui est en réalité un limogeage. L’opposition parle de manœuvre politicienne : la presse de droite accuse le Président du Conseil de chercher à se concilier les parlementaires SFIO à la veille d’un scrutin d’investiture qui pourrait être difficile, cela en sacrifiant Chiappe.
Cependant, si le déplacement de Chiappe va cristalliser le mécontentement, la crise est latente. Elle est nourrie par les « affaires ». L’affaire Panama n’est pas encore complètement oubliée et, tout récemment, le banquier Oustric a défrayé la chronique politico financière, mais surtout, début janvier, c’est le « suicide » de Stavisky . L’escroc, qui a des relations dans le monde politique, a réussi à convaincre le député-maire de le laisser réorganiser le Crédit Municipal de Bayonne (il avait été à deux doigts d’y parvenir également à Orléans). Il en a profité, selon une technique inusable, pour faire, avec succès, miroiter d’alléchantes perspectives de profitabilité aux yeux des épargnants. On devine la suite… La presse anti-parlementaire monte en épingle ces faits divers crapuleux, d’autant que quelques parlementaires ou membres de l’entourage de ministres ont pu être en relations avec l’escroc.
Toutefois, si le mécontentement, et même la colère de l’opinion atteignent un tel degré c’est aussi, et surtout, en raison de la crise économique et sociale et de l’apparente impuissance gouvernementale. Après dix années de prospérité consécutives à la guerre, la grande crise économique et financière partie des USA en 1929, vite ressentie en Allemagne et en Grande-Bretagne, a, dans un premier temps, semblé épargner la France. Le monde rural, bien plus important dans notre pays, et une industrie moins dépendante du commerce extérieur ont d’abord amorti le choc. Mais, bien vite, il faut déchanter. En 1931, la Grande-Bretagne dévalue de 30 % sa monnaie et, en 1933, le dollar est détaché de l’or. La France, elle, pays d’épargnants, s’accroche à la valeur de sa monnaie. Le résultat est qu’elle perd des marchés dans le monde, que les prix s’effondrent, celui du blé notamment, les salaires baissent, le chômage se répand. La crise économique, dès lors, s’installe et génère un climat de mécontentement général. Pour affronter ces circonstances difficiles, les institutions paraissent à beaucoup inadaptées : la toute puissance d’un parlement sans majorité cohérente et durable conduit à l’instabilité gouvernementale ; dans les vingt mois précédant l’arrivée au pouvoir de Daladier, cinq gouvernements se sont succédés. Même si, en réalité, les mêmes hommes se succèdent aux postes clés, le sentiment de l’impuissance de l’Etat à forme républicaine et à gouvernement parlementaire gagne du terrain.
C’est dans ce climat que va se dérouler la manifestation du 6 février. Elle est d’abord un mouvement de mécontentement, mais le ton des appels et les objectifs de certains de ses promoteurs (l’Action Française par exemple) laissent craindre un dérapage insurrectionnel. Pendant que se déroule le débat sur la confiance au Palais Bourbon, la foule s’agglutine sur la Place de la Concorde, des groupes s’approchent du Parlement par la rive gauche, d’autres sont à proximité de l’Elysée et provoquent un début d’incendie au Ministère de la Marine. Les Forces de l’Ordre ont reçu du Ministre de l’Intérieur Eugène Frot des consignes de fermeté. En fin de journée, des fusillades éclatent. Elles se poursuivent dans la nuit. Des heurts très violents se produisent et, à plusieurs reprises, des manifestants paraissent en mesure de prendre le contrôle du Pont de la Concorde. Au matin , on comptera 13 morts, tués par balles. D’autres victimes, blessées, décèderont ultérieurement. Les incidents qui auront lieu dans la soirée du 7 février, la manifestation communiste du 9 février et la manifestation des syndicats, de la SFIO et du Parti Communiste du 12 février feront également plusieurs victimes.
Le 7 février, la France est sous le choc. Le Gouvernement, lui, a obtenu largement la confiance de l’Assemblée. Au petit matin, plusieurs de ses membres, dont Eugène Frot, préconisent une attitude de fermeté dans le maintien de l’ordre, l’arrestation des meneurs, l’état de siège s’il le faut. Mais, après consultation des dirigeants politiques et notamment des chefs radicaux, à la mi-journée, Daladier fait connaître sa démission dans un souci de pacification des esprits. En fin de matinée, le Ministre de l’Intérieur lui-même s’est rallié à cette position : les Renseignements Généraux lui ont donné des informations très alarmistes et il craint d’être amené à faire donner la Troupe si le Gouvernement se maintient. L’ancien président de la République, Gaston Doumergue, est rappelé aux affaires avec la caution d’Herriot, dirigeant radical rival d’Edouard Daladier, et constitue un Cabinet de centre droit. Il gouvernera huit mois.
L’enquête sur le déroulement des événements menée par la commission parlementaire ne parviendra pas à établir l’origine des premiers coups de feu ; elle conclura qu’il n’y a pas eu d’ordre identifiable d’ouverture du feu du côté des Forces de l’Ordre (qui n’ont perdu qu’un homme) ; elle ne réunira pas d’éléments convaincants à l’appui de la thèse du complot politique imputé tantôt aux royalistes de l’Action Française, aux « populistes » du Colonel de La Roque ou même… à Eugène Frot lui-même (sujet sur lequel on reviendra).
L’onde de choc du 6 février à Montargis[3]
L’émeute du 6 février 1934 est essentiellement parisienne ; certes, les manifestations et grèves du 12 février ont davantage concerné la banlieue que la capitale intra-muros et des manifestations ont eu lieu dans quelques grandes villes. La France, dans ses profondeurs, est mécontente et inquiète mais elle n’est pas prête à se livrer à la violence ou à se détourner du régime républicain et même de sa version parlementaire. Telle est aussi la situation à Montargis qui vote à gauche depuis 10 ans et où les ligues ne sont pas fortement représentées. Dans la capitale gâtinaise, les événements du 6 février sont d’ailleurs plutôt relativisés dans les tous premiers jours. En témoigne la Une du « Gâtinais », hebdomadaire de loin le plus lu dans la région, qui titre « Le Cabinet Daladier devant la Chambre » et, en sous-titre seulement, dans le corps de l’article « une soirée d’émeute ».[4]
Mais très vite la situation va évoluer. C’est en effet à Eugène Frot que les ligues imputent la responsabilité des dérapages meurtriers de la journée du 6 février. Leur vindicte va se concentrer sur l’ancien Ministre de l’Intérieur entraînant ainsi Montargis, dont il est l’élu, dans les turbulences et l’agitation.
Les journées des 7 et 8 février sont calmes et la manifestation communiste parisienne du 9 février n’aura aucun prolongement à Montargis. Mais, le 10, dans la capitale gâtinaise, la rumeur fait état d’une venue des camelots du roi à Montargis, pour punir Frot. Le banquet de l’Union Commerciale et Industrielle, organisation patronale, prévu pour le 11 et au cours duquel devait prendre la parole un conseiller municipal de Paris ayant participé aux manifestations du 6 février, est annulé. Les militants communistes locaux protègent la maison de Frot, rue Dom Pedre et les locaux du « Gâtinais », l’hebdomadaire étant connu pour être très favorable à l’ancien ministre.
Tract appelant à la manifestation du 11 février 1934
La tension politique va dès lors connaître quelques poussées, discontinues mais parfois violentes. A l’appel des organisations de gauche, une manifestation rassemble quelques centaines de personnes (150 selon le Commissaire de Police) le dimanche 11 février. Ses mots d’ordre sont politiques. Le thème est celui de l’anti-fascisme, mais le Gouvernement d’Union Nationale de Doumergue est également dénoncé. La grève du lendemain, sur un mot d’ordre national émanant de l’ensemble des organisations syndicales et politiques de gauche, n’est toutefois que modérément suivie : certes, la plupart des écoles primaires sont fermées à Montargis, ainsi que le collège des garçons et le lycée Durzy, mais les trains roulent et l’Usine Hutchinson tourne. Quant à la gauche modérée, incarnée par les radicaux, elle est moins mobilisée par le « péril fasciste » dénoncé par les communistes que par la défense de Frot en faveur duquel le Conseil Municipal de Montargis vote une motion de sympathie.
C’est d’ailleurs la gauche modérée qui sera à l’origine du plus important rassemblement tenu à Montargis dans la période suivant immédiatement le 6 février, période marquée par les rumeurs et fausses nouvelles. Ainsi est déclenchée une fausse alerte à Montargis le 23 février : la rumeur annonce la venue de commandos de l’Action Française ; la gendarmerie se déploie dans les rues… et rien ne se passe. À l’appel de la Ligue des Droits de l’Homme, un rassemblement suivi par au moins 4 000 personnes (estimation du Sous-préfet) se tient donc le 4 mars. Il a un caractère national. Ce sont les dirigeants nationaux de la Ligue qui l’ont convoqué et qui sont présents : Victor Basch, Emile Kahn, Jean Zay, Gaston Bergery et de nombreux parlementaires. Le mot d’ordre est « la défense des libertés républicaines et la lutte contre le fascisme » et l’on y affirme un soutien à Eugène Frot. La réunion se tient dans le calme ainsi que le défilé qui la conclut. Toutefois, les militants d’extrême gauche présents ont fait entendre des voix discordantes et le député radical de Pithiviers qui a voté la confiance au Gouvernement Doumergue a été écarté de la salle. L’orateur communiste et le journal « L’Humanité » dans le compte rendu qu’il fait de la manifestation mettent l’accent sur « l’unité ouvrière et paysanne contre le fascisme » alors que Jean Zay retient, lui, comme priorité la « restauration de l’autorité républicaine et la constitution d’une République moderne ».
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MessageSujet: Les émeutes du 6 février 1934 à Paris   Les émeutes du 6 février 1934 à Paris EmptyJeu 06 Avr 2006, 3:17 pm

Citation :
On aurait pu penser, au lendemain de cette manifestation relativement réussie de consensus républicain, qu’aucune réaction des ligues d’extrême droite n’avait perturbée, que Montargis bénéficierait de l’accalmie politique qui s’installait d’ailleurs à peu près partout en France. C’est, tout au contraire, dans le courant du printemps que Montargis allait connaître le paroxysme de la crise.
Le Gâtinais du 3 mars 1934
Les affrontements de Châlette du 15 mai 1934 et la mort de Jean Lamy
La circonstance, qui allait tourner au drame, fut une réunion organisée au Salon des Familles à Châlette par les « Jeunesses Patriotes ». Cette organisation, fondée par Pierre Taittinger dans la filiation de la Ligue des Patriotes de Déroulède, avait été l’une des plus déterminées dans les assauts menés le 6 février sur le Pont de la Concorde. Le meeting fixé au 15 mai n’est pas d’initiative spécifiquement locale mais surtout parisienne et ne concerne apparemment qu’une des ligues. Il paraît, de prime abord, d’ambition limitée et de caractère plus ou moins privé. Mais il est clair que la cible est toujours la même : l’ancien ministre de l’intérieur, qu’il s’agit de stigmatiser et dont la traque continue d’être poursuivie sans relâche par les organisations d’extrême droite. Mais, en ce mois de mai 1934 les ligueurs n’ont pas encore pleinement réalisé que la rue, où ils régnaient sans partage jusqu’au 6 février, à Paris en particulier, ne leur appartient plus. L’émeute a, certes, fait trembler la République sur ses bases, mais elle a aussi re-mobilisé les forces politiques et syndicales de gauche qui, oubliant leurs querelles, réinvestissent la rue. Montargis ne fait pas exception, d’autant que les ligues n’y ont jamais été très implantées, que l’unité d’action des organisations de gauche a été rapide et spontanée dès le lendemain de l’émeute en dépit de la position de la direction nationale du PCF dont la ligne reste alors très hostile à la SFIO, et que Frot est populaire. Une contre manifestation de gauche est convoquée Salle Paul Bert. Elle réunit 3 à 400 personnes dont une partie se dirige, en fin de réunion, vers le Salon des Familles. Laissons la parole, sur les événements qui se déroulent alors, à Henri Martin, artisan maçon à La Selle-sur-le-Bied, dans ses « Souvenirs » :
« Un certain Trochu, président des Croix de Feu du 9e arrondissement, organise une réunion des « Jeunesses Patriotes » à Montargis. Mais ni l’Alhambra, ni le Tivoli ne donnent leur salle. Il s’adresse à Laumônier du « Salon des Familles » qui accepte pour le 15 mai. En contestation, une autre réunion a lieu
Salle Paul Bert. 400 personnes y assistent et se déplacent pour aller manifester au Salon des Familles. Elles se heurtent à un barrage de police. Le sous-préfet Bellicart se rend sur les lieux. A minuit, le préfet les rejoint. Alors une échauffourée se produit, Mazoyer, communiste, reçoit un coup de crosse sur la tête. Les « Jeunesses Patriotes » au nombre d’une centaine sortent vers 2 h 15 et tentent de regagner leur voiture. Coups , cailloux de part et d’autre. Les «Jeunesses» sortent leur revolver et tirent une vingtaine de coups de feu. Jean Lamy tombe, une balle dans la cuisse. »
Le « Gâtinais » du 19 mai titre : « À Montargis : les assassins du 6 février continuent leurs exploits » , amalgamant les événements parisiens survenus trois mois avant et le drame Montargois, désignant les ligues comme seules responsables. La police opère quelques arrestations d’individus originaires, pour la plupart, de la région parisienne ; des armes sont trouvées dans les voitures ; l’orateur lui-même, porteur d’un revolver, est également interpellé. L’enquête ne permettra pas d’élucider l’origine du coup de feu. Coup de feu en réalité mortel : Jean Lamy, 21 ans, ouvrier couvreur zingueur originaire de Courtenay, décédera, victime d’une infection, à l’hôpital de Montargis le 10 juin. Ses obsèques, le 14 juin, sont l’occasion d’un important rassemblement à Montargis. Un témoin écrit : « Jamais on ne vit une assistance aussi nombreuse à un enterrement à Montargis. Toute la ville y était présente et les républicains, et surtout les communistes, déferlaient des environs et même de la région parisienne… Les rues traversées révélaient une ville morte. Tous les magasins étaient fermés. On sentait vraiment couver l’émeute.»[5]
Les discours prononcés au meeting qui suivit devant la Salle de Fêtes furent de tonalité au moins aussi révolutionnaires que de défense républicaine. Le Comité Jean Lamy qui s’était constitué entretint également quelque temps, sur une ligne très révolutionnaire, l’esprit de mobilisation antifasciste dans le Montargois jusqu’à la brouille avec la famille de Jean Lamy hostile à l’utilisation politique du nom de la victime. La mémoire de Jean Lamy est aujourd’hui rappelée par la rue qui porte son nom à Châlette.
Eugène Frot, une prometteuse carrière brisée.
Un bilan du 6 février doit, bien entendu, d’abord prendre en compte les victimes : les morts et les nombreux blessés. Ses conséquences politiques, qu’on ne développera pas ici, furent, on le sait, considérables. L’affaire est d’abord un succès pour la droite dans son ensemble : bien que disposant d’une majorité à l’Assemblée, le Gouvernement radical a capitulé devant la rue. Une nouvelle fois, après l’épisode Herriot de 1924/25, la gauche, victorieuse dans les urnes en 1932, est incapable de se maintenir au pouvoir. Mais, très vite le 6 février est ressenti comme un échec par les ligues qui seront d’ailleurs bientôt dissoutes ; surtout, le rassemblement des forces politiques qui allaient constituer le Front Populaire y trouve son origine. Il est, cependant, une autre conséquence qu’en Gâtinais on ne saurait passer sous silence : la fin des espoirs politiques d’Eugène Frot.
C’est, en effet, le Ministre de l’Intérieur qui est présenté comme le responsable du caractère sanglant des événements. Curieusement, le Président du Conseil Daladier qui, pourtant, a pris les décisions capitales : limogeage de Chiappe le 3 avril qui va déclencher l’émeute, puis démission du Gouvernement dès le 7 février qui, certes, contribuera à l’apaisement mais constituera néanmoins un inquiétant recul de l’Etat devant la violence, ne sera pas la cible principale des critiques. La violente campagne d’opinion qui se déclenche au lendemain du 6 février se concentre sur Frot. Dans « L’Echo de Paris », une formule d’un futur grand nom du journalisme, Raymond Cartier, résume l’orientation éditoriale de la presse favorable aux manifestants, dont les organes sont nombreux et influents. Il évoque dans le numéro du 12 février « Le Ministre de l’Intérieur sanglant du 6 février » et ajoute « le nom de Mr Eugène Frot sera voué à l’exécration comme synonyme d’assassin ». Dès lors la campagne contre l’ancien Ministre de l’Intérieur ne cessera plus et on en trouvera encore des relents dans les années soixante, y compris dans des segments de l’opinion très éloignés des ligues.[6] Dès le 7 février Frot, étant ou se croyant menacé - les Renseignements Généraux l’auraient informé de sa condamnation à mort[7] - disparaît et, s’il reparaît à la Chambre le 23 février, ce n’est que le 26 mai, au Congrès de la Ligue des Droits de l’Homme à Nancy, qu’il reprend pour la première fois publiquement la parole. Mais, le 9 juin il est interdit de parole à Bruxelles par crainte de troubles à l’ordre public. En novembre 1935, il est giflé sur le quai de la gare de Lille et, quelques jours plus tard, il reçoit un seau de sang à la figure. Le 29 janvier 1936, il ne peut accéder au Palais de Justice de Paris, pour y exercer son métier d’avocat, face à l’hostilité de ses confrères, sa robe d’avocat ayant été brûlée en effigie quelque temps avant. Même dans son fief de Montargis il risque d’être pris à partie : le 18 avril 1934, une quinzaine d’élèves du Chesnoy menacent de s’en prendre à son domicile … Pourtant, à l’échelon local, le « Gâtinais » lui est d’une fidélité à toute épreuve et, on l’a vu, l’ensemble des forces républicaines et de gauche, y compris les communistes locaux, en dépit de la ligne du parti[8], lui apportent leur soutien. Il sera d’ailleurs réélu aux élections de 1936.
Pourquoi tant de haine ? La question se pose d’autant plus que, dans ses très éphémères (7 jours) fonctions de Ministre de l’Intérieur, aucune faute ne peut, si l’on se réfère au rapport de la commission parlementaire d’enquête constituée au lendemain du 6 février, être reprochée à Frot. Ni le déploiement des Forces de l’Ordre, ni les instructions à elles données - certes fermes, mais imagine-t-on un ministre de l’intérieur autorisant la police à laisser des manifestants menacer le Palais Bourbon ? – ne peuvent, au vu des documents disponibles, être mis en cause. Et aucun ordre d’ouvrir le feu n’a été donné par le Ministre de l’Intérieur. Il semble bien que l’enchaînement de la violence et ses conséquences meurtrières n’aient été délibérément voulues par aucune des parties même si, à l’évidence, les dirigeants de certaines des ligues en avaient pris le risque. On peut se demander, en réalité, si deux éléments ne doivent pas être privilégiés pour expliquer, d’une part la campagne de haine dirigée contre Eugène Frot et, d’autre part l’interruption de sa carrière politique. Dans l’atmosphère très passionnelle de l’époque, il fallait aux ligues un responsable pour personnaliser le besoin de vengeance de victimes issues principalement de leurs rangs et, peut-être plus fondamentalement encore, pour que s’extériorise l’amertume, très profonde, que laissait, dans toute la partie de l’opinion qu’elles influençaient, l’affaire du 6 février, ressentie en définitive comme un échec bien qu’elle eût permis à la droite modérée de reprendre le pouvoir. Il était d’autant plus facile de revêtir Eugène Frot du costume de bouc émissaire que celui-ci, dans diverses déclarations postérieures aux événements, se dépeignait volontiers comme un Ministre de l’Intérieur « à poigne », rappelant complaisamment les instructions de fermeté qu’il avait données ou soulignant qu’au matin du 7 février - avant de changer d’avis - il proposait au Gouvernement de décréter l’état de siège, de procéder à des arrestations préventives et de recourir à l’armée.[9]
Mais la campagne de haine contre Frot pouvait-elle suffire à l’abattre politiquement ? On peut penser que l’originalité de sa trajectoire et les craintes que faisaient naître ses ambitions y ont également contribué. Lorsque Eugène Frot est nommé Ministre de l’Intérieur, c’est en effet au terme d’un parcours politique qui paraît particulièrement prometteur. A quarante ans, il est député depuis 10 ans et, à partir de 1932, ministre quasiment sans interruption (Secrétaire d’Etat auprès du Président du Conseil, Ministre de la Marine Marchande, du Travail) et accède dans ces derniers jours de janvier 1934, du fait de la défection de Marquet, à un poste clé de l’Etat. Dans les milieux politiques, on se plait à reconnaître ses qualités. A l’occasion de sa nomination à l’Intérieur, le Président de la République lui aurait fait miroiter la perspective de la Présidence du Conseil…[10]
Si, chez certains de ses adversaires politiques, on est parfois sévère à son égard, le sculpteur Real del Sarte, dirigeant de l’Action Française, qualifiant Frot de « sous instituteur de province », dans d’autres milieux, on porte sur lui un jugement beaucoup plus positif. Le futur Maréchal de Lattre de Tassigny, alors lieutenant-colonel, déclare devant la Commission d’enquête « C’est (Eugène Frot) un homme qui s’intéressait, avec un esprit très ouvert et d’une façon très intelligente, à toutes les questions d’intérêt national ». En outre, le nouveau Ministre de l’Intérieur a des relations dans les milieux les plus divers : à gauche bien sûr mais aussi dans la droite modérée, au patronat, chez les intellectuels (il est de ceux qui interviendront pour essayer de sauver Brasillach).


Dernière édition par le Ven 01 Sep 2006, 5:47 pm, édité 1 fois
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MessageSujet: Les émeutes du 6 février 1934 à Paris   Les émeutes du 6 février 1934 à Paris EmptyJeu 06 Avr 2006, 3:19 pm

Citation :
On ne peut, dans ces conditions, être surpris d’ambitions, qu’il ne dissimule d’ailleurs pas et qui, sans doute, lui valent de nombreux adversaires, déclarés ou non.
La campagne contre Frot menée par les ligues va donc trouver un terrain favorable, d’autant que le caractère atypique de l’itinéraire politique du député de Montargis lui a également valu des inimitiés. Pour la gauche et, notamment, ses éléments les plus « durs », c’est une sorte de renégat. Eugène Frot, d’abord anarchiste, puis rédacteur à l’Humanité en 1920, est le Ministre de la Police en 1934. Cette trajectoire est tout un symbole. L’inflexion s’amorce après l’échec du Cartel des Gauches et du Gouvernement Herriot. Frot s’éloigne progressivement de la SFIO dont il condamne le refus de participation au Gouvernement et, surtout, plus lucide que beaucoup, il se dissocie de la ligne Socialiste de refus des crédits militaires. Cette attitude lui ouvre la porte du Gouvernement, dans le sillage de Paul Boncour. Lucide, Eugène Frot l’est également en ce qui concerne les institutions dont il dénonce l’inadéquation aux redoutables problèmes de l’époque. Parmi les premiers, il se prononce pour un renforcement de l’Exécutif, ne se faisant pas que des amis dans la classe politique.
La singularité de l’itinéraire politique de Frot, et ses ambitions avouées, permettent de mieux comprendre le succès, à l’époque, de la thèse du « complot ». On a suggéré que le député de Montargis était au centre d’une conspiration tendant à l’instauration d’un régime fort et qu’il aurait, dans ce but, vu avec faveur le développement des violences, prétexte à une reprise en main énergique… La Commission d’enquête ne retiendra rien de cette thèse.[11]
Quoi qu’il en soit, après le 6 février, il apparaît vite que Frot est la grande victime politique de l’affaire. Et, de fait, bien que réélu député de Montargis dans la vague du Front Populaire, il demeurera écarté des responsabilités gouvernementales. Une tentative de retour politique en 1945 échouera. Un incident anecdotique relatif à la libération de Montargis rapporté par Beaudenon Badaire[12] n’était d’ailleurs pas de bon augure pour l’ancien ministre : juché dans la voiture d’un officier américain, ceint de son écharpe de député, il aurait été giflé par un « énergumène cheminot (bondissant dans la voiture), un type que personne ne connaît et dont on n’entendra jamais plus parler, » cela aux applaudissements de la foule… Sous l’occupation, après avoir voté les pleins pouvoirs le 10 juillet 1940, et aussi démissionné du Conseil National de Vichy, il observera une attitude attentiste et parfois même ambiguë.[13] Il demeure, à ce jour, le dernier député de gauche que le Montargois ait envoyé au Parlement dans un scrutin uninominal (sauf à considérer que le Docteur Szigeti, élu en 1958, appartenait à la Gauche, ce qui est discutable).
Imaginons un instant que les manifestations du 6 février 1934 n’aient pas tourné à l’émeute sanglante, que Frot ait eu par la suite, comme tout semblait l’y conduire, l’occasion d’occuper d’éminentes fonctions, Montargis compterait-elle parmi ses enfants un grand homme d’Etat, et le Gâtinais un autre représentant illustre dans l’Histoire Politique que Mirabeau ? La question demeurera éternellement posée…
Décédé en 1983, inhumé dans la discrétion au cimetière de Châteaulandon, Eugène Frot est aujourd’hui bien oublié. Il semble, d’ailleurs, qu’il en soit de même en ce début de XXIe siècle des événements du 6 février 1934 eux-mêmes, tant nationaux que montargois. La passion politique qui submergea la France il y a 70 ans s’est éteinte depuis longtemps.
[1] Pour le déroulement détaillé des événements du 6 février 1934 à Paris, voir, parmi les très nombreuses publications, les ouvrages de Pierre Pélissier «6 Février 1934» Perrin - 09/2000 et «6 Février 1934» Serge Berstein – Collection Archives – Gallimard - 1975.
[2] S. Berstein, opus cité, p. 185
[3] Les développements ci-après reposent largement sur la presse locale de l’époque, en particulier « Le Gâtinais » et sur le mémoire de Sophie Guilbert « Le Front Populaire dans le Canton de Montargis », Université des Lettres et Sciences Humaines d’Orléans – 1994.
Voir également Anne-Marie Pasquet : « Le 6 Février 1934, la République en danger ». Les Amis du Vieux Montargis, N° 40.
[4] Le Gâtinais – samedi 10 février 1934
[5] Georges Beaudenon Badaire dans « Une vie de chien fou » p. 122.
[6] Procès gagné d’Eugène Frot contre Jacques Duclos en 1970. Le dirigeant communiste, dans ses mémoires, avait cru pouvoir affirmer que Frot avait donné l’ordre de tirer le 6 février. Voir notamment Le Monde 15 avril 1983.
[7] « Le 6 février » S. Berstein opus cité.
[8] « Le gouvernement sanglant Daladier/ Frot a préparé la venue au pouvoir de l’Union Nationale… Le parti Radical et le Parti Socialiste font le lit du Fascisme » L’Humanité – 8 février1934.
[9] Voir notamment sa lettre à l’Association des Amis de R. Brasillach et ses déclarations devant la Grande Loge de France dont il était membre dans P. Pélissier (opus cité).
[10] P. Pélissier, opus cité, p. 57.
[11] Thèse largement exposée dans l’ouvrage de Pierre Pélissier.
[12] Opus cité, p. 172.
[13] Il signera quelques articles dans la presse de la France occupée. Voir sur sa carrière détaillée, Jean Goueffon « Un leader mal connu de la 3e République, Eugène Frot ». Information Historique N° 1 – 1998.


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Les émeutes du 6 février 1934 à Paris Empty
MessageSujet: Les émeutes du 6 février 1934 à Paris   Les émeutes du 6 février 1934 à Paris EmptyVen 01 Sep 2006, 5:46 pm

Citation :
Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/6_f%C3%A9vrier_1934

La date du 6 février 1934 fait référence à une manifestation antiparlementaire organisée à Paris par des groupes de droite et les ligues d’extrême droite et qui tourne à l'émeute sur la place de la Concorde.

La crise des années 30 et l'affaire Stavisky

La France a été touchée à partir de 1931 par la Grande dépression, née en 1929 aux États-Unis. La crise économique et sociale frappe particulièrement les classes moyennes, soutiens traditionnels de la République. Or, le pouvoir se révèle incapable d'apporter des solutions, ce qui se traduit par une très forte instabilité ministérielle (cinq gouvernements de mai 1932 à janvier 1934) contribuant à alimenter le rejet du parlementarisme.

L'antiparlementarisme a aussi été alimenté par une succession de scandales politico-financiers : affaire Hanau (Marthe Hanau avait utilisé ses appuis politiques pour attirer, grâce à son journal La Gazette du franc, les économies des petits épargnants), affaire Oustric (la faillite frauduleuse du banquier Oustric précipita en 1930 la chute du gouvernement d'André Tardieu, dont le Garde des Sceaux était mêlé à l’affaire), et enfin, cause directe des évènements du 6 février, affaire Stavisky.

Ce nouveau scandale, impliquant le Crédit municipal de Bayonne, éclate en décembre 1933. Apparaît alors le personnage d'Alexandre Stavisky, un escroc lié à plusieurs parlementaires radicaux, dont un ministre du gouvernement du radical Camille Chautemps. La presse révèle ensuite que Alexandre Stavisky a bénéficié de dix-neuf remises de son procès, alors que le Parquet est dirigé par le beau-frère de Chautemps. Le 8 janvier 1934, Alexandre Stavisky est retrouvé mort. Selon la version policière, il se serait suicidé, ce qui suscite l’incrédulité générale. Pour la droite, il a été assassiné sur l'ordre de Chautemps, afin d’éviter des révélations. Dès lors, la presse se déchaîne, l’extrême droite manifeste, et, à la fin du mois, après la révélation d’un nouveau scandale, Chautemps démissionne. C'est un autre radical, Édouard Daladier, qui lui succède le 27 janvier.

Depuis le 9 janvier, treize manifestations ont eu lieu à Paris. Tandis que la droite tente d’utiliser l’affaire pour remplacer la majorité issue des élections de 1932, l’extrême droite exploite ses thèmes traditionnels : antisémitisme, xénophobie (Alexandre Stavisky est un Juif ukrainien naturalisé), hostilité à la franc-maçonnerie (dont Chautemps est un dignitaire), antiparlementarisme. Comme l'a remarqué Serge Berstein, l'affaire Stavisky n'est exceptionnelle ni par sa gravité ni par les personnalités mises en cause, mais par la volonté de la droite de faire chuter un gouvernement de gauche sur ce thème, profitant du fait que les radicaux n'ont pas la majorité absolue à la Chambre des députés et forment donc des gouvernements fragiles.

C'est toutefois le limogeage du préfet de police Jean Chiappe qui provoque les manifestations massives du 6 février. Homme de droite, Chiappe manifestait en effet une grande indulgence à l’égard de l’extrême-droite. Pour la gauche, son déplacement est lié à son implication dans l’affaire Stavisky, tandis que la droite dénonce le résultat d’un marchandage avec les socialistes : départ de Chiappe contre soutien au nouveau gouvernement.

Le soir du 6 février

Les forces en présence

Au cœur des manifestations de janvier, les ligues d’extrême droite. Phénomène ancien (la Ligue des patriotes a été fondée par Paul Déroulède dès 1882), les ligues jouent un rôle très important dans l'entre-deux-guerres, notamment lorsque la gauche est au pouvoir, ce qui est le cas depuis les élections législatives de 1932.

Parmi les principales ligues d’extrême droite présentes le 6 février, il faut d'abord mentionner la plus ancienne, l'Action française. Fondée en 1905 par Charles Maurras, la Ligue d’Action française (60.000 membres) a pour but de renverser « la gueuse » (la République) afin de restaurer la monarchie. Elle s’appuie sur les Camelots du Roi, qui, malgré des effectifs assez limités, sont très actifs dans la rue. De fondation plus récente (1924), les Jeunesses patriotes, qui revendiquent l’héritage de la Ligue des patriotes, comptent 90.000 membres dont 1.500 font partie des « groupes mobiles ». Créées par Pierre Taittinger, député de Paris, elles entretiennent des rapports étroits avec des hommes politiques de droite, et comptent dans leurs rangs plusieurs conseillers municipaux de la capitale. Quant à la Solidarité française, fondée en 1933 par le richissime parfumeur François Coty, elle est dépourvue d’objectif politique précis et ses effectifs sont moins élevés. Mentionnons enfin, bien que ses effectifs soient insignifiants, le francisme de Marcel Bucard.

Parmi les principaux protagonistes, il faut aussi évoquer les Croix-de-feu. Créées en 1926 sous la forme d’une association d’anciens combattants, leur recrutement s’est élargi à d’autres catégories sous l’impulsion de leur chef depuis 1931, le colonel de la Rocque, et elles s’apparentent désormais à une ligue, la première en nombre d’adhérents. Elles aussi sont dotées de groupes de combat et de défense, les « dispos ».

Appelle enfin à manifester dès le mois de janvier la Fédération des contribuables, dont les dirigeants ont des objectifs politiques proches de ceux des ligues.

En plus des manifestants de janvier, les très puissantes associations d’anciens combattants appellent aussi à la mobilisation le 6 février. La plus importante d’entre elles, l'Union nationale des combattants (UNC), dont les idées sont proches de la droite et qui est présidée par un conseiller municipal de Paris, compte pas moins de 900.000 membres. Mais l'Association républicaine des anciens combattants (ARAC), satellite officieux du Parti communiste français, appelle également ses troupes à défiler le 6 février, bien que sur des mots d’ordre différents.

L'émeute

Dans la soirée du 6, les ligues, qui se sont rassemblées en différents points de Paris, convergent vers la place de la Concorde, séparée de la Chambre des Députés par la Seine. Les policiers et gardes parviennent à défendre le pont de la Concorde, malgré les jets de projectiles de toutes sortes. Quelques émeutiers sont armés, et les forces de l’ordre tirent sur la foule. Les troubles durent jusqu’à 2h30. Finalement, le bilan humain est de 16 morts et d'environ 2 000 blessés, parmi lesquels les militants de l’Action française paient le plus lourd tribut.

Ce sont en effet les ligues d’extrême-droite qui ont joué le rôle principal. S'y sont joints, malgré les dénégations ultérieures du parti communiste, une partie des manifestants issus de l'ARAC. « Ce sont les Anciens Combattants sans armes qui criaient « A bas les voleurs ! Vive la France » que le Cartel a fait tuer » proclame une affiche de propagande peu après. En réalité, le gros des manifestants de l’UNC, malgré quelques heurts vers l’Élysée, s’est tenu à l’écart des évènements de la Concorde.

Tandis que, sur la rive droite, les charges des forces de l’ordre parvenaient difficilement à contenir les assauts des émeutiers, les Croix-de-feu avait choisi de défiler rive gauche. Le Palais-Bourbon était beaucoup plus difficile à défendre de ce côté de la Seine, mais les manifestants se contentent d’encercler le bâtiment sans incident majeur avant de se disperser en bon ordre. Cette attitude valut aux Croix-de-feu le sobriquet, en forme de contrepèterie, de « Froides Queues » dans la presse d’extrême droite. Volontiers décrit ensuite par la gauche comme la principale menace fasciste en France, il semble pourtant que La Rocque se soit refusé à sortir de la légalité et à renverser le régime, ce qui était l’objectif plus ou moins avoué des autres ligues.

A la Chambre des députés, la droite tente de profiter de l’émeute pour contraindre le gouvernement à la démission. Mais la gauche fait bloc derrière Daladier. La séance est finalement levée après que des échanges de coups ont eu lieu dans l’hémicycle, entre députés de droite et de gauche.

La portée du 6 février

Démission de Daladier et formation d'un gouvernement d'Union nationale

Dans la nuit, Daladier prend les premières mesures pour obtenir le rétablissement de l’ordre public (il envisage notamment d'instaurer l'état de siège). Mais le lendemain, ses consignes sont peu suivies par la justice et la police. De plus, il enregistre la défection de la plupart de ses ministres et de son parti. Il se résout finalement à démissionner. C’est la première fois qu’un gouvernement doit démissionner sous la pression de la rue.

La crise se résout finalement avec la formation d’un nouveau gouvernement sous la présidence de l'ancien président de la République (1924-1931) Gaston Doumergue, ce dont les ligues semblent se contenter. Qualifié de gouvernement d’ «union nationale», il regroupe surtout les principales figures de la droite parlementaire (André Tardieu, Louis Barthou, Louis Marin), même si plusieurs radicaux ou le maréchal Pétain (ministre de la Guerre, c’est sa première expérience ministérielle) en font également partie.

Vers l'union de la gauche

La gauche interprète les événements du 6 février comme la preuve d’un complot fasciste. Les socialistes et les communistes contre-manifestent le 9 février. Les incidents qui les opposent aux forces de l'ordre font neuf victimes. Le 12 février, la CGT (socialiste) et la CGTU (communiste) décident d’une journée de grève générale et la SFIO et le Parti communiste appellent à une manifestation parisienne qui n’a pas vocation à être commune mais voit pourtant les deux cortèges se mêler à l’initiative de la base. Cette journée marque donc un premier et timide rapprochement entre socialistes et communistes. Elle porte en germe l’union antifasciste entre les deux partis marxistes, ennemis depuis 1920, qui a abouti en 1936 au gouvernement de Front populaire, composé de radicaux et de socialistes avec le soutien communiste. Cette union correspond aux souhaits de Staline qui demande aux chefs des partis communistes réunis au sein du Komintern, de faire alliance avec les autres partis de gauche, y compris les partis sociaux-démocrates ou socialistes, afin d'eviter une contagion des régimes fascistes et anticommunistes en Europe.

La radicalisation de la droite

Les méthodes violentes des ligues, leur allure paramilitaire, le culte du chef, font qu’elles sont souvent assimilées au fascisme. Mais au-delà des apparences et de leur volonté de voir le régime parlementaire céder la place à un régime fort et efficace, il est difficile pour certains historiens (Serge Berstein, René Rémond, Michel Winock) de distinguer chez elles un réel projet fasciste. D'autres, comme Michel Dobry, Zeev Sternhell les considèrent au contraire comme relevant du fascisme. Brian Jenkins de son côté estime qu'il est vain de chercher une essence fasciste en France et préfère établir des comparaisons, qui aboutissent selon lui à une nette convergence entre le fascisme italien et une bonne partie des ligues françaises, notamment l'Action française. D'autre part, l'idée même d’un complot semble exclue par l’absence de concertation et le manque d’objectifs précis des ligues.

Après le 6 février, la droite parlementaire commence à durcir son discours et à se rapprocher de l'extrême droite. Plusieurs de ses leaders perdent confiance dans les institutions parlementaires. Cette droitisation s'accélère après 1936, avec le Front populaire et la guerre d'Espagne.

Pour l'extrême droite, le 6 février représente une occasion manquée de renverser le régime, occasion qui ne se retrouvera qu’en 1940. La déception qu’ont suscitée les ligues conduit à la radicalisation de certains qui se tournent alors vers le fascisme ou le national-socialisme.

Voir aussi

Biographies

Serge Berstein, Le 6 février 1934, Paris : Julliard, 1975 , Archives (ISBN 2-07-029319-X) ;
Michel Dobry, Février 1934 et la découverte de l’ « allergie » de la société française à la Révolution fasciste, Revue française de sociologie, juillet-décembre 1989, XXX, 3-4 ;
Michel Dobry (dir.), Le Mythe de l'allergie française au fascisme, Paris : Albin Michel, 2003, Bibliothèque Albin Michel : Idées (ISBN 2-226-13718-1) ;
Robert Soucy, Fascismes français ? : 1933-1939, Paris : Autrement, 2004 (ISBN 2-7467-0452-8) ;
Danielle Tartatowsky, Les Manifestations de rue en France : 1918-1968, Paris : Publications de la Sorbonne, 1997 (ISBN 285944307X) ;
Michel Winock, La Fièvre hexagonale : Les grandes crises politiques de 1871 à 1968, Paris : Seuil, 2001, Points Histoire (ISBN 2-02-028516-9).

Liens externes

6 fevrier 1934: Manifestation sanglante a Paris
Le 6 février 1934 vu et vécu par l’Action française
« Pourquoi le Six Février a été stérile » par Maurice Pujo
Récupérée de « http://fr.wikipedia.org/wiki/6_f%C3%A9vrier_1934 »
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