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 Joan PICK : objectif zéro carbone

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Stans
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MessageSujet: Joan PICK : objectif zéro carbone   Joan PICK : objectif zéro carbone EmptyVen 13 Fév 2009, 9:44 pm

Source : http://www.habiter-autrement.org/01_tendances/21_tend.htm

Joan Pick : objectif zéro carbone

LE MONDE | 16.12.08 |

Citation :
Il y a cette photo d'elle à 32 ans, soigneusement rangée dans un tiroir de sa table de chevet. Elle y est ravissante, les cheveux courts, habillée d'une petite robe noire sans manches. C'était au début de l'année 1973, juste avant que Joan Pick épouse une vie d'ascète énergétique. Elle a ensuite renoncé à sa voiture, à son réfrigérateur, à sa télévision, à son chauffage, à sa douche... pour s'approcher d'un bilan énergétique carbone proche de zéro.

Pendant les trente-cinq dernières années, Mme Pick a vécu à Croydon, au sud de Londres, comme si le progrès technologique n'avait jamais existé. Elle n'est plus jamais montée dans un véhicule motorisé, sauf pour se rendre à l'hôpital en ambulance en 1991 après s'être déboîté l'épaule et pour l'enterrement de sa mère en 1992. N'a plus jamais pris un bon bain chaud. Ne s'est plus jamais concocté un bon petit plat...

Ses seuls luxes sont sa bouilloire électrique - pas question de renoncer à son thé, qu'elle prend avec du lait en poudre -, sa radio et une lampe, avec une ampoule à faible consommation, évidemment. "Cela me coûte 7 livres (7,8 euros) par mois d'électricité", précise-t-elle. Les vestiges de son passé de femme moderne sont encore là. Feu la cuisinière abrite des dossiers composés d'articles de journaux découpés. Les poêles à frire orange - des Le Creuset - lui servent d'haltères pour faire sa gymnastique quotidienne. Quant au réfrigérateur, il est plein de noix et de germes de blé, qui composent l'essentiel de son alimentation. Ajoutez à ce régime spartiate deux heures de jogging par jour, et vous avez une Mme Pick, âgée de 68 ans, manifestement en pleine forme physique.

La solitude lui pèse bien un peu. Mais elle n'a jamais rencontré l'âme soeur. "Ce n'est pas arrivé", dit-elle. Elle se souvient pourtant qu'elle plaisait. Et va chercher dans sa penderie des robes en soie Liberty, qu'elle s'était confectionnées quand elle pouvait encore se permettre d'être coquette. Témoignage d'un temps révolu qu'on a du mal à imaginer quand on la voit aujourd'hui dans son jogging bleu, la tête couverte d'une casquette Nike. "Un homme n'aurait jamais supporté ma vie, juge-t-elle. Il lui faut ses trois repas par jour."

Mme Pick n'a pas seulement une vie amoureuse inexistante, elle est également sans amis et presque sans famille. Ses parents - son père était ingénieur, sa mère professeur de mathématiques - sont décédés. Son frère, avec qui elle entretient des relations complexes, vit à Dallas, aux Etats-Unis.

Comment en est-elle arrivée à ce dénuement aussi bien matériel qu'affectif ? "Les gens disent que je suis folle", s'esclaffe-t-elle. Je ne suis pas loin de penser la même chose, emmitouflée dans mon manteau, mon écharpe et mon bonnet, à tenter de prendre des notes alors que la température approche zéro degré en ce jour de décembre. Mme Pick est sans conteste une écologiste cohérente jusqu'au bout des ongles. Mais son combat pour un monde moins énergétique est aussi un combat pour sa réhabilitation.

Car cette diplômée en physique et mathématiques de l'université de Bristol, où elle a étudié quatre ans, est persuadée d'avoir eu raison avant et contre tout le monde. "Je suis une sorte de Galilée", lance-t-elle, en ne plaisantant qu'à moitié. Une incomprise sacrifiée sur l'autel des conformismes et des académismes.

Pour comprendre le combat de sa vie, il faut revenir quarante ans en arrière. Après avoir contribué deux ans au journal scientifique Understanding Science, la jeune femme rejoint en 1964 le groupe de consultants Metra, alors filiale de Paribas, où elle fait des recherches pour le compte d'industriels sur des sujets aussi variés que le traitement de l'eau, les microscopes électroniques ou encore les moteurs Diesel.

En 1967, elle suit certains de ses collègues qui créent une société indépendante et concurrente, Peter Ward Associates (Interplan). Jusque-là, rien à signaler, si ce n'est que cette jeune femme à l'intelligence assurée - elle a depuis rejoint Mensa, qui rassemble les QI les plus élevés - mène bien son début de carrière.

A Noël 1972, les affaires marchent doucement, on est à la veille du premier choc pétrolier, et l'inflation menace. Elle décide donc de rédiger un rapport sur la planète, nourri de son observation sur un monde industriel "obsédé par la croissance et les profits". Elle pense avoir fait le tour de la question. Mais, après lecture du rapport, Interplan, qui tient à ses clients, ne souhaitera pas lui faire de publicité.

Mme Pick crie à l'injustice. "J'ai inventé un nouveau modèle économique. La Terre est comme une entreprise dont nous sommes tous actionnaires, et l'énergie est la principale devise", estime-t-elle. Elle harcèle son patron pour être entendue. "Il m'a envoyé chez le médecin, qui a considéré que mon cerveau marchait trop vite et que je souffrais d'hypermanie", raconte-t-elle. Le 24 mai 1973, elle s'en souvient comme si c'était hier, il tente de la faire interner dans une clinique à Londres, dont elle s'échappe après avoir vu "une caricature de stupide petite femme psychanalyste".

Mme Pick quitte donc Interplan. Avec une obsession - faire publier son rapport, l'oeuvre de sa vie - qui mobilise encore toute son énergie aujourd'hui. C'est alors qu'elle abandonne petit à petit tout superflu, aussi bien pour des motifs économiques qu'idéologiques. Et commence à écrire des lettres à tout ce que le monde britannique compte de scientifiques, éditeurs, politiques... "Je ne pensais pas que cela allait durer trente-cinq ans", rigole-t-elle. Car personne n'a encore publié son travail. Et Mme Pick continue à inonder l'establishment de lettres, écrites méthodiquement chaque jour sur sa vieille machine à écrire. "Il n'y a pas une seule personne au gouvernement qui n'ait pas entendu parler de mon rapport", lance-t-elle.

C'est ce moment que le facteur choisit pour lui remettre son courrier du jour. Une pub pour Sky Télé et un accusé de réception du député Mark Todd à l'une de ses milliers de lettres. "C'est insultant, non ?", demande-t-elle. Heureusement, elle ne doute pas de son combat. "Je suis une des meilleures scientifiques au monde et je travaille pour rien", dit-elle. Ses allocations et une petite retraite - 6 500 livres par an (7 250 euros) - lui suffisent. Son appartement, dans un HLM, lui coûte peu. Les meubles, des années 1960, ont un petit air de vintage. Moquette verte, fauteuils orange, baie vitrée avec une vue superbe sur Londres, l'endroit est nickel et plutôt gai.

"J'ai réussi à survivre tout en respectant mes principes, se réjouit-elle. J'ai prouvé qu'on peut vivre en consommant très peu d'énergie." Manifestement, cela n'empêche pas de rêver.

Virginie Malingre
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