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 Le néo-conservatisme américain, essai de définition

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Le néo-conservatisme américain, essai de définition Empty
MessageSujet: Le néo-conservatisme américain, essai de définition   Le néo-conservatisme américain, essai de définition EmptyJeu 16 Mar 2006, 6:58 am

Source : http://www.liberation.com/page.php?Article=94388

Les néo-conservateurs pour la morale de l'Histoire - Ces intellectuels «straussiens» fournissent les rangs des faucons américains. - par Pascal RICHE

QUOTIDIEN : lundi 10 mars 2003

Citation :
Aux Etats-Unis, ce ne sont pas les militaires qui poussent à la guerre. Ce sont des intellectuels. Le principal «faucon» de l'administration Bush, Paul Wolfowitz, secrétaire adjoint à la Défense, est le plus fameux d'entre eux. Sous Clinton, il était le doyen de la Paul H. Nitze School of Advanced International Studies à l'université Johns Hopkins de Baltimore. Il a fait ses études à l'université de Chicago, sous la double influence du philosophe Allan Bloom (dont Saul Bellow a dressé le portrait dans son roman Ravelstein) et du mathématicien Albert Wohlstetter, père de la doctrine nucléaire américaine.

«Supériorité culturelle.» Il n'est pas rare que les bellicistes les plus boutefeux soient aussi les lettrés les plus fins. C'est le cas de Victor David Hanson, professeur à l'université d'Etat de Californie, spécialiste de la Grèce antique, qui a échafaudé une théorie selon laquelle la supériorité militaire de l'Occident est le reflet de sa supériorité culturelle. Ou encore de Donald Kagan, professeur à Yale, autre éminent historien de l'Antiquité et père d'un des idéologues «néoconservateurs» les plus prolixes, Robert Kagan (1).

Wolfowitz et ses amis sont souvent qualifiés de «straussiens». Leo Strauss (1899-1973), intellectuel juif ayant fui le régime hitlérien, était en rébellion contre la modernité, responsable, selon lui, de l'apparition du stalinisme et du nazisme. Il invitait ses étudiants à s'imprégner des classiques: Platon, Aristote ou le philosophe juif du XIIe siècle Maïmonide. Pour Strauss, qui abhorrait le relativisme, il existe un droit naturel, un «étalon du juste et de l'injuste» valable n'importe où, n'importe quand. De même, les néoconservateurs d'aujourd'hui ont «la conviction qu'il faut implanter la démocratie et la liberté partout dans le monde, car tout pays est capable de les recevoir», constate l'un d'entre eux, l'essayiste David Brooks, inventeur du concept des «bobos».

Les «petits-enfants» de Strauss ont une foi énorme dans la solidité des valeurs occidentales en général et dans la Constitution américaine en particulier. Ce qui rend légitime, à leurs yeux, l'usage de la force dans de nombreuses situations. Leo Strauss a eu plusieurs disciples célèbres, comme Allan Bloom ou Harvey Mansfield (traducteur de Tocqueville et Machiavel, pourfendeur du «politiquement correct» à Harvard). Plusieurs intellectuels néoconservateurs d'aujourd'hui ont suivi les cours de Bloom : non seulement Wolfowitz, mais aussi Francis Fukuyama (auteur de la Fin de l'Histoire) ou John Podhoretz (responsable des pages éditoriales du New York Post et fils du néoconservateur Norman Podhoretz). Un autre faucon, Bill Kristol, directeur du Weekly Standard (et fils d'un des fondateurs du néoconservatisme, Irving Kristol), a eu Mansfield comme professeur.

Selon Kristol, les intellectuels «straussiens» sont «conservateurs sur le plan moral, sceptiques vis-à-vis des utopies, sceptiques vis-à-vis de la gauche mais aussi de la droite réactionnaire incarnée par des gens comme Joseph de Maistre ou Carl Schmitt. Ils sont respectueux de la religion et préoccupés par certaines tendances des pensées modernes». Il ajoute en souriant : «Pour résumer, les straussiens sont du parti d'Aron, pas de celui de Sartre.»

Gary Schmitt, directeur du Project for a New American Century, centre de réflexion qui prône l'hégémonie américaine sur le monde, est lui aussi passionné d'histoire grecque et de philosophie politique. Il note qu'une bonne partie des faucons a renoncé à une carrière universitaire pour rejoindre la politique au début des années Reagan : «Dans ce pays, l'Université est dominée par la gauche et la réussite y est plus difficile si vous êtes conservateur», explique-t-il. Gary Schmitt, Kristol et Kagan ont débarqué à Washington dans les années 1980 et y ont pris racine. A cette époque, Wolfowitz a également appelé au Département d'Etat un de ses anciens étudiants, Lewis Scooter Libby, aujourd'hui directeur de cabinet du vice-président Cheney.

«Régime». Ces intellectuels partagent une conviction profonde: c'est Reagan et Churchill qui avaient raison, non pas Nixon et Kissinger. C'est la «clarté morale» qu'il faut cultiver, contre le «réalisme». «Les affaires internationales ne doivent pas relever de lois physiques régissant l'équilibre des pouvoirs, la stabilité. Ce qui compte, c'est le caractère des Etats eux-mêmes, leur régime», résume Schmitt, qui voit là «le coeur du débat au sein du Parti républicain depuis les années 70.»

«Clarté morale», «vertu»... Les mots des partisans de la guerre reflètent souvent leur filiation intellectuelle classique. L'expression «changement de régime» n'est pas innocente. «La philosophie politique classique est guidée par la question du meilleur régime», répétait Strauss. Le «régime» (la politeia chez Aristote) désigne non seulement le gouvernement, mais aussi les institutions, les règles qui régissent la société, le système éducatif, le moral de la population, «l'esprit des lois»... Lorsque les néoconservateurs parlent aujourd'hui de «changement de régime» en Irak, ils ne pensent pas seulement à la chute de Saddam : ils rêvent de rebâtir, au coeur du Moyen-Orient, une politeia sous influence occidentale.

(1) Auteur de la Puissance et la Faiblesse, éd. Plon, 2003. Lire également notre entretien avec Kagan dans Libération des 8 et 9 mars
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