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| Le statut de la femme dans les sociétés musulmanes | |
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Stans Fondateur
Nombre de messages : 16069 Age : 72 Localisation : Bruxelles - Département de la Dyle Langue : français Emploi/loisirs : histoire, politique Date d'inscription : 10/03/2006
| Sujet: Le statut de la femme dans les sociétés musulmanes Jeu 10 Jan 2008, 4:04 pm | |
| Source : http://www.confluences-mediterranee.com/v2/spip.php?article241 - Citation :
- Le statut de la femme dans les sociétés musulmanes : une bataille ardente et obstinée [TEXTE INTEGRAL]
Abderrahim Lamchichi
L’une des questions les plus brûlantes, les plus redoutables et les plus débattues aujourd’hui dans le monde musulman demeure celle de l’émancipation de la femme. Mais de quel monde musulman s’agit-il ? Il est malheureusement très répandu de considérer la culture islamique comme moniste et occasionnant partout et toujours les mêmes comportements. Or le paysage islamique est pluriel, dense et riche de sa diversité. Le réduire à une minorité agissante, le fondamentalisme, c’est de la mauvaise foi ou, pire, de l’ignorance. Des millions de musulmans luttent contre les intégrismes au nom de valeurs partagées, de tolérance, égalité, dignité, respect des droits individuels… et refusent la lecture dogmatique du coran et ses conséquences : la dévalorisation juridique, culturelle et sociale de la femme. Grâce à ces combats, l’heure de l’autonomie, de l’émancipation et de l’impératif universel d’égalité des droits va-t-elle enfin arriver ? Et par quels moyens ? L’émancipation de la femme à l’égard du carcan de coutumes éculées comme à l’égard des injonctions inquisitoriales et des pratiques obscurantistes des traditionnaires et des néofondamentalistes demeure l’une des questions les plus ardentes et les plus controversées actuellement dans toutes les sociétés du vaste monde musulman. Question capitale en effet, qui renvoie bien évidemment au statut juridique de la femme et à sa place tant dans l’espace domestique que dans l’espace public. Mais plus généralement, elle conditionne immanquablement le moindre processus de démocratisation. Résoudre cette équation, c’est, pour les individus vivant en société, choisir les valeurs morales fondamentales qui organiseront leur existence : opter ou non en faveur de l’instauration d’une véritable justice sociale, et in fine, faire ou non un choix de civilisation. Or, que constate-t-on actuellement dans la plupart des pays arabes et musulmans en ce qui concerne le statut des femmes ? C’est une situation sociale lamentable et le retour en force d’attitudes misogynes, sexistes, iniques et parfois violentes à leur égard, qui prédominent nonobstant d’incontestables avancées dues aux combats très anciens et ininterrompus livrés par les mouvements féministes. Malgré ces luttes anciennes et courageuses pour arracher leurs droits civiques et politiques, malgré quelques avancées remarquables ici ou là (accès des filles à l’éducation scolaire et universitaire, arrivée sur le marché du travail, élévation de l’âge du mariage, recul de la polygamie, réduction du nombre d’enfants par femme en âge de féconder, diffusion des moyens de contraception, etc.), la situation globale des femmes s’est considérablement dégradée. De l’Afrique subsaharienne à l’Asie du Sud, en passant par l’Iran, la Turquie ou le monde arabe, la condition de la femme est évidemment fort contrastée. Néanmoins, quasiment partout, le thème de la “décadence des moeurs”, cher aux zélateurs de l’islamisme radical et du néofondamentalisme, continue de faire des ravages. Ces courants pourfendeurs de la modernité, continuent d’attiser la haine à l’égard des femmes libres et d’alimenter de l’animosité à l’égard du thème de l’émancipation et de l’égalité des sexes. Presque quotidiennement, des femmes en font la tragique expérience. Cette violence se double chez elles de situations sociales funestes. Le programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), en procédant à différents calculs pour rendre compte de la disparité du statut de la femme, élabore un indicateur de participation des femmes (IPF). En se basant sur les inégalités entre les sexes en termes de représentation et de pouvoir de décision, l’IPF fournit une estimation de la participation des femmes à la vie politique et économique de leur pays. Un classement mondial à partir de cet indicateur place aux touts derniers rangs trois pays arabes : le Yémen, l’Egypte et les Emirats arabes unis. Sans être derniers, les autres pays arabes sont au bas du classement. D’autre part, toujours selon la même source, parmi les principaux pays où aucune loi ne garantit le droit de vote aux femmes, figure cinq pays de la Péninsule arabique : le Koweït, le Qatar, les Emirats arabes unis, l’Arabie Saoudite et Oman ! Dans les autres pays arabes qui reconnaissent ce droit sur le papier, la situation n’est guère brillante. Déjà un précédent Rapport sur le développement humain dans le monde arabe pour l’année 2002, rédigé par des experts arabes et publié par les Nations Unies, insistait cruellement sur la détérioration inquiétante de la situation des femmes dans cette région, malgré les progrès (tout à fait insuffisants, d’ailleurs) de leur scolarisation et de leur participation aux activités politiques, socioéconomiques et culturelles. Un profond malaise Ces constats ne cessent d’inquiéter. Il n’est pas excessif en effet d’affirmer que le monde musulman vit un profond malaise, en particulier si on compare la période actuelle à l’âge d’or de la civilisation musulmane, phase pendant laquelle une part importante des débats éthiques et de la littérature (aussi bien sacrée que profane) fut accordée, avec une liberté de ton inouïe, aux thèmes de l’amour, du désir et des rapports entre sexes. A cette époque, la littérature érotique en particulier, véritable ode au plaisir, fut une des plus éblouissantes et parmi les plus libertines au monde. Cette littérature était extrêmement diversifiée : contes et poèmes sublimes, récits torrides. S’y côtoyaient, en effet, des oeuvres profanes de poètes libertins et des commentaires non moins corsés de théologiens qui n’éludaient par exemple aucun détail sur les interdits sexuels ou l’art de la copulation ! A rebours, du thème de la “dissolution des moeurs” qui semble hanter beaucoup d’esprits aujourd’hui et de la chape de plomb qui semble désormais s’abattre sur nombre de femmes dans maintes contrées du vaste monde musulman, les musulmans de l’âge classique étaient loin d’être austères, chastes, étroits d’esprit ou fanatiques. A rebours de l’attitude scandaleusement rétrograde des autorités ecclésiales actuelles (celles d’al-Azhar du Caire notamment, la plus prestigieuse université de théologie du monde musulman) qui, durcissant les préceptes coraniques, stigmatisent la “femme tentatrice et déraisonnable”, ne répugnent guère à jeter l’anathème sur l’aspiration des jeunes à l’émancipation, refusent obstinément les principes et valeurs de la modernité, n’hésitent pas en l’occurrence à réclamer et souvent obtenir la censure de certaines oeuvres de l’esprit au nom d’une lecture singulièrement obscurantiste de la religion, les Musulmans de cet âge n’hésitaient pas à discuter librement et même crûment des questions de sexe et de désir. Aujourd’hui, en ces temps tourmentés, c’est bien plutôt la pudibonderie, voire l’obsession de l’“honneur” et de la “pureté” ou, leur corollaire, la dénonciation de la “souillure”, qui semblent sinon prédominer, du moins revenir en force. Des courants rétrogrades, inféodés à des idéologies oppressives (à orientation religieuse ou non, au demeurant), prétendant être les gardiens des bonnes moeurs, les chantres de la moralité privée et publique, continuent de peser de tout leur poids pour aggraver les pratiques d’abaissement et d’avilissement de la femme et reproduire la domination masculine. | |
| | | Stans Fondateur
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| Sujet: Le statut de la femme dans les sociétés musulmanes Jeu 10 Jan 2008, 4:05 pm | |
| - Citation :
- Une émancipation réservée à l’élite urbaine ?
En somme, dans ce domaine crucial que constitue l’égalité entre les hommes et les femmes, les progrès réalisés dans les pays musulmans restent insuffisants. Certes, des femmes arabes et musulmanes ont indéniablement accédé à diverses activités professionnelles, à l’université et à la recherche, aux arts et à la culture, voire à des postes élevés de responsabilité dans l’administration et dans bien d’autres secteurs socioéconomiques. Mais globalement, ces réalités ne concernent guère qu’une partie de la population féminine ; il s’agit de femmes appartenant aux élites et aux couches moyennes urbaines. Le taux d’analphabétisme ou d’illettrisme demeure très élevé chez les femmes pauvres, en particulier à la campagne. En outre, les hommes en général (les hommes de religion en particulier) ont de plus en plus tendance à s’opposer, sous la pression des néofondamentalistes, à la mixité, au travail salarié de leurs filles, soeurs ou épouses, à leur instruction et surtout à l’exercice par elles des responsabilités publiques, judiciaires et politiques en particulier. En dépit de luttes, fort anciennes, souvent très dures, mais décisives, engagées par des mouvements réformateurs, des courants ouvertement laïques et modernistes et des associations féministes, en faveur de la dignité des femmes, de leur liberté et de la reconnaissance de leur pleine responsabilité dans le respect de l’égalité des droits, la logique de l’asservissement du deuxième sexe au nom d’une conception rigoriste de la foi a gagné du terrain ces dernières décennies. Cette logique de l’avilissement ne cesse de prospérer sur le terreau des malaises sociaux et identitaires et de l’autoritarisme de pouvoirs politiques qui n’hésitent pas eux-mêmes à succomber à une surenchère mimétique avec les intégristes. Cette situation s’explique aussi bien par la pression intolérable des courants intégristes et des milieux conservateurs que par la misère sociale, la faiblesse de l’Etat de droit et l’absence d’un système juridique équitable, indépendant et moderne. Néanmoins, dans ce contexte, des femmes affrontent courageusement les comportements visant à leur dénier leurs droits et à les assujettir. Elles refusent de plier sous le joug pesant des interdits et des codes traditionnels et pudibonds qu’on veut leur imposer. Elles luttent ardemment et patiemment pour leur réussite sociale, la liberté de leurs choix de vie, leur autonomie professionnelle et conjugale. Une bataille décisive est désormais ouvertement engagée entre, d’un côté, les tenants de coutumes ancestrales, et parmi eux, ceux qui veulent perpétuer toutes ces sortes de violences (symboliques ou réelles), et de l’autre, les partisans d’une société ouverte, égalitaire et libre. La culture du respect et de l’égalité La problématique de l’émancipation féminine est intimement liée au processus plus global de démocratisation, de laïcisation des institutions publiques et d’émergence du sujet autonome et libre. Cette question est également intrinsèquement liée à celle de l’amélioration du système de formation et de l’élévation du niveau d’éducation des citoyens à la culture civique et démocratique. C’est dans cette perspective, que nombre d’associations féministes inscrivent leurs luttes ; elles expriment leur ferme volonté de défendre les valeurs démocratiques, préconisent la mise en place d’un système éducatif sécularisé et laïque et, d’une façon générale, mettent l’accent sur l’exigence d’émancipation des femmes et d’éducation des garçons et des filles à la culture du respect et de l’égalité. Aujourd’hui dans les pays arabes et musulmans, la nécessité de cette éducation à la démocratie se fait sentir de manière vitale ; elle exige notamment l’apprentissage de la tolérance, du vivre ensemble dans des sociétés pluralistes à construire, le respect de la dignité d’autrui, de l’altérité et de la différence, notamment sexuelle. Une sexualité émancipée et pleinement assumée nécessite en outre que l’individu soit réévalué, nourri, éduqué, informé assez serein et maître de son destin pour pouvoir se désenclaver des groupes d’appartenance (qu’il n’a pas librement adoptés) et conduire ses choix éthiques, politiques, professionnels et personnels non en fonction des mythes du passé mais de ses aspirations et des contraintes de la réalité. L’histoire des grandes démocraties occidentales nous enseigne qu’un lien indéfectible existe bien entre progrès de la laïcisation ou de la sécularisation, invention démocratique et arrachement des questions de l’intime et de la sexualité au diktat des institutions ecclésiales et des milieux conservateurs - même si cette évolution a nécessité beaucoup de temps et de combats et qu’elle demeure assez largement inachevée. Les Musulmans ont donc intérêt à rompre avec les tendances qui, sous le prétexte fallacieux de défendre la foi ou arguant que le Livre révélé est la Parole immuable de Dieu, refusent toute innovation, et entendent reconduire les structures mentales et sociales, donc les pesanteurs d’une part importante d’une tradition désormais inféconde mais toujours oppressante. Les Musulmans modernistes ont intérêt à rejeter tous ceux qui veulent leur imposer un moralisme religieux ayant fait son temps. Ils ont bien plutôt intérêt à poursuivre l’oeuvre des premiers réformateurs du siècle dernier, en allant plus loin dans la voie d’un sérieux travail de toilettage et d’adaptation du Coran aux évolutions du monde ; ils ont intérêt aussi à amorcer et approfondir le même processus qu’a connu l’Europe en ce qui concerne la démocratisation, la sécularisation et la laïcisation de leurs sociétés et de leurs institutions seule manière, outre la garantie d’une plus grande stabilité, d’un pluralisme et d’une paix civile viables, de libérer les énergies créatrices.
Dernière édition par le Jeu 10 Jan 2008, 4:07 pm, édité 1 fois | |
| | | Stans Fondateur
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| Sujet: Le statut de la femme dans les sociétés musulmanes Jeu 10 Jan 2008, 4:06 pm | |
| - Citation :
- Une lecture critique de l’héritage
De même, le combat contre toutes les formes de discrimination et de violence exercées à l’encontre des femmes est intrinsèquement lié aux efforts intellectuels en vue d’élaborer une lecture critique et moderne, donc vivante, de leur héritage, y compris religieux. A cet égard, sachons garder l’espoir dans la possibilité d’émergence, à l’aube du 21e siècle, d’un Islam des Lumières qui, à l’instar de celui des précurseurs réformistes de la Salafiyya et des pionniers modernistes de la Nahda du 19e siècle, placera, à coup sûr, au coeur de son projet la raison, la tolérance, la dignité de l’homme et de la femme et la liberté. C’est pourquoi des musulmans modernistes et réformateurs ont, depuis fort longtemps, compris l’importance vitale et la nécessité d’accorder, le plus harmonieusement possible, islamité et modernité ; ils sont de plus en plus capables de faire entendre une voix différente de celle des fondamentalistes et à beaucoup d’égards, féconde. Ils savent que la modernité démocratique, exécrée par la majorité des islamistes, n’exclut évidemment ni la foi (et ses expressions spirituelles, artistiques, etc.) ni l’exercice des cultes ; au contraire, la raison d’être des systèmes laïques est d’en garantir justement le plein épanouissement dans un régime de tolérance et de liberté. Les femmes, de leur côté, aspirent à cette même modernité ; elles veulent être de véritables actrices de leur propre destin. Quasiment partout, des femmes de culture musulmane, croyantes, pratiquantes ou agnostiques et indifférentes à la religion, ont développé une conscience aiguë de leurs difficultés et de la nécessité de changer radicalement leur condition. Elles osent braver les interdits, les dogmes et pratiques qui s’évertuent à vouloir les enfermer ou brider leurs paroles et leurs désirs. Elles osent se révolter contre la condition avilissante qui leur est souvent réservée par les traditionalistes et les islamistes. C’est pourquoi il est erroné de saisir tous les comportements machistes et sexistes précédemment rappelés sous le prisme exclusif (donc nécessairement déformant) de la religion. La part de coutumes patriarcales ancestrales non forcément religieuses dans la justification de la situation inique faite aux femmes est importante. Il est vrai que dès que l’on s’intéresse aux sources de la condition d’asservissement de la femme en Islam, on est naturellement tenté d’interroger les principes coraniques. Comment éviter, dès lors, le risque de projeter de manière anachronique les interrogations et problématiques de notre temps sur la période prophétique, en jugeant à l’aune des réponses apportées par les sociétés modernes ?
Des situations contrastées
A dire vrai, la question de l’émancipation de la femme au sens où nous l’entendons aujourd’hui n’a été posée clairement par aucune des grandes religions à sa naissance ; ce qui est, somme toute, tout à fait logique, étant donné le contexte de ces époques reculées. En Europe, l’égalité des droits (toute relative), le contrôle des naissances, l’avortement, le divorce… n’ont été imposés aux Eglises que fort tardivement par diverses associations de femmes, à l’issue de combats très anciens. De leur côté, les sociétés contemporaines du vaste monde musulman sont loin d’être restées insensibles à ces évolutions même si, comme je l’ai dit d’entrée de jeu, la situation de la femme y demeure encore largement précaire, et, en certains endroits, carrément exécrable, et même si chaque conquête en faveur des droits des femmes se heurte à des résistances et à une évolution lente des mentalités. D’un côté, à l’heure des désarrois sociaux et des crispations identitaires, des discours sont répandus qui refusent de considérer les femmes comme des citoyennes dotées d’une égale dignité, nanties des mêmes droits que l’homme ; dans certains pays, elles sont encore avilies, écrasées sous le poids de moeurs ancestrales, soumises à la violence conjugale et à la tyrannie des hommes, asservies aux basses tâches… Ces manifestations de misogynie ne cessent d’être légitimées et de se nourrir d’élaborations puisées dans un corpus de jurisprudence éculé et dans des sources prétendument spirituelles (mais pas exclusivement), où le thème de la hantise du sexe féminin tient une place inquiétante. De l’autre, depuis les décolonisations, d’autres sociétés ont toutefois connu des évolutions (pour ne pas dire des séismes) important(e)s, ayant débouché, en maints endroits, sur de précieux acquis. En règle générale, la place des femmes et leur mode de vie y sont fortement contrastés et varient en fonction des époques, des cultures et des combats des différents acteurs. Dans beaucoup de pays, sous la pression des courants traditionalistes ou néofondamentalistes, des tentatives dangereuses de remise en cause des fragiles acquis en ce domaine n’ont cessé de se multiplier. Dans d’autres pays, en revanche, des femmes musulmanes, farouchement opposées aux pratiques de vie réglées par les fondamentalistes, ont eu accès aux droits civiques et aux activités professionnelles les plus diversifiées même si, évidemment, on est très loin du compte. Ainsi, de nombreuses femmes ont réussi à imposer leurs talents et leurs multiples compétences dans des domaines clés, aussi variés que l’éducation, la santé, l’entreprise, le roman, la recherche universitaire, le journalisme, la culture et les arts, mais elles restent écartées des lieux politiques (gouvernements, parlements, collectivités locales, directions des grandes formations partisanes) où s’élaborent les décisions les concernant. En tout état de cause, partout, des femmes résistent et livrent une bataille ardente et obstinée pour conquérir leur émancipation.
Un paysage islamique pluriel
Dès lors, l’observateur objectif est invité à prendre suffisamment en compte les données de l’histoire et de l’anthropologie afin de se défaire de toute lecture essentialiste, fixiste et atemporelle ou hors contexte de l’islam. Il convient de rejeter avec force toute vision réductrice, anhistorique et atemporelle d’une religion qui surdéterminerait, en tout temps et en tout lieu, les comportements des musulmans. Il convient de refuser toute démarche qui postule l’existence d’une culture islamique moniste occasionnant partout et toujours les mêmes comportements des musulmans. Le “paysage islamique” du monde est pluriel, dense, riche de sa diversité. Le réduire à sa minorité agissante, le fondamentalisme, c’est manquer de bonne foi et d’objectivité ou, pire, faire preuve d’ignorance. Ainsi, en ce qui concerne les débats sur le statut de la femme, le monde musulman est constitué d’un très large éventail de courants d’idées (religieux modérés, nationalistes, laïques, libéraux, modernistes). Nombre de musulmans mettent en cause les traditions ancestrales qui bloquent les changements, tout en combattant, avec énergie et audace, les tendances intégristes. Parfois, les changements les plus significatifs proviennent de l’intérieur même du cadre islamique, grâce notamment aux réformateurs, partisans d’une relecture hardie et critique des textes canoniques et des normes théologico-juridiques. En outre, personne ne peut nier que les conflits travaillant le monde musulman, sont, d’abord, des conflits politiques et sociaux endogènes. Ils se déroulent au sein des sociétés musulmanes elles-mêmes (quelle société n’en connaît pas ?). Il s’agit, notamment, de conflits opposant, d’un côté, réformateurs, modernistes, partisans de l’ouverture au monde et de la tolérance et, de l’autre, fanatiques, partisans du repli et dispensateurs de haine et de violence… L’oublier, c’est non seulement renoncer à penser la complexité, pour verser dans le manichéisme. Mais c’est aussi, d’une certaine manière, ne pas rendre service, voire trahir ou abandonner, les millions de musulmans qui luttent précisément contre les intégrismes, au nom de valeurs universellement partagées : Etat de droit, tolérance religieuse et philosophique, égalité sexuelle, dignité de la femme, droits individuels, liberté… Qu’il s’agisse de l’islam minoritaire (Europe, Amériques) ou de celui des pays musulmans, l’esprit de réforme existe bel et bien : des citoyens musulmans modernistes et des intellectuels libres-penseurs y aspirent ardemment, soit en réinterprétant les dogmes religieux de manière critique et libérale, soit en agissant en dehors de toute tradition ou prescription religieuse. La volonté d’ouverture de secteurs entiers de ces sociétés à la modernité est bien présente depuis plus d’un siècle. De très nombreux citoyens, dont un nombre considérable de femmes, s’affirment ouvertement partisans de la laïcité, osent braver les interdits et les contraintes, s’adonner aux plaisirs, sortir librement, tenter de réaliser leurs aspirations et projets de vie. Des associations féministes luttent quotidiennement pour obtenir des droits égaux pour les femmes. Des oeuvres d’art, une littérature non-conformiste, un répertoire de chansons, un théâtre et un cinéma libres et créatifs sont régulièrement réalisés bravant le discours convenu et réactionnaire sur la sujétion de la femme. Briser les tabous Des hommes et des femmes, de toutes conditions sociales, refusent la lecture dogmatique du Coran conduisant parfois à des pratiques détestables : dévalorisation juridique, culturelle et sociale de la femme, sa mise sous tutelle masculine, son confinement aux tâches domestiques, au statut de servante du mari ou du clan masculin de la famille élargie, de simple reproductrice, sinon de pur objet sexuel pour l’homme, interdiction pour elle de vivre, de désirer et de s’épanouir librement, etc. Aujourd’hui, plusieurs associations féministes entendent reprendre le flambeau des femmes pionnières qui, dès le début du 20e siècle, partout dans le monde arabe et musulman, entreprirent, à l’instar de leurs consoeurs européennes, l’audacieux combat pour briser les tabous de la morale pudibonde et en faveur de l’égalité. Le contexte a évidemment beaucoup changé, mais la condition féminine n’est guère satisfaisante. C’est pourquoi, ces militantes mettent l’accent sur la question de l’émancipation dans sa globalité et la complexité de ses dimensions : soutien aux femmes pauvres, esseulées et aux mères célibataires, nécessité de l’extension des centres de planning familial au milieu rural, lutte en faveur de l’interruption volontaire de grossesse (grossesses non désirées), combat contre l’exploitation sexuelle des jeunes filles et contre les viols, opposition résolue aux “crimes d’honneur” et à la complaisance des tribunaux qui garantissent l’impunité aux hommes, résistances aux pratiques de répudiation, aux violences conjugales, lutte contre les fortes inégalités professionnelles et salariales, lutte en faveur d’une meilleure représentation des femmes dans les milieux politiques, syndicaux, associatifs, artistiques ou intellectuels, etc. Beaucoup d’associations féministes actives estiment aujourd’hui que l’heure de l’autonomie, de l’émancipation et de l’impératif universel d’égalité des droits a enfin sonné. Dans une telle perspective, seule l’éducation à la citoyenneté et au civisme, aux valeurs de la démocratie moderne, de la laïcité et de la tolérance peuvent s’avérer salutaires pour l’évolution positive de la condition de la femme ; autrement dit, il s’agit de l’éducation à l’affranchissement de la conscience individuelle vis-à-vis des pesanteurs de traditions non assumées, donc non vraiment vivantes ; c’est-à-dire l’éducation à l’autonomie rationnelle du jugement personnel ; l’apprentissage de l’esprit critique et du respect réciproque des convictions individuelles dans le respect de la loi démocratique commune. ■ Parmi les derniers ouvrages de Abderrahim Lamchichi L’islamisme en question(s), L’Harmattan, 1998 Le Maghreb face à l’islamisme, L’Harmattan, 1998 Islam et musulmans de France, L’Harmattan, 1999 Islam-Occident, Islam-Europe. Choc des civilisations ou coexistence des cultures ?, L’Harmattan, 2000 L’islamisme politique, L’Harmattan, 2001 Géopolitique de l’islamisme, L’Harmattan, 2001 Islamisme et changements politiques au Maghreb, in Maroc. Mémoire d’avenir, Editions du Musée Albert-Kahn, Paris, 2002 Jihâd, un concept polysémique. Et autres essais, L’Harmattan, 2006 Femmes et islam. L’impératif universel d’égalité, L’Harmattan, 2006 | |
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